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Le pathos dans le triangle rhétorique

Auteur
Yann Lebatard
Professeur de philosophie
Sommaire
Rhétorique - Cet article fait partie d'une série.
Partie 2: Cet article

Introduction
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Les philosophes ou les sophistes tiennent compte des émotions dans l’organisation de leur discours. C’est pourquoi le triangle rhétorique tient compte du pathos. Le pathos se traduit par le mot français passion mais dans son ancien sens. Une passion, c’est l’émotion voire le sentiment que nous subissons. En effet, passion et être passif, ont la même origine étymologique.

Comme Aristote n’est pas assez précis dans son analyse des émotions, nous allons voir maintenant la classification des émotions réalisée par l’un des lecteurs d’Aristote qui s’appelle Thomas d’Aquin, philosophe italien du XIIIème siècle, dont l’enseignement a contribué à la réputation européenne de La Sorbonne. Thomas d’Aquin distingue deux grandes catégories d’émotions : le concupiscible et l’irascible.

Le concupiscible
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Le concupiscible, c’est l’ensemble des appétits sensibles qui nous poussent vers un bien ou nous détournent d’un mal. Le bien dont il est question est plutôt facile à atteindre. Le mal dont il est question est plutôt facile à éviter. Tout ce qui est facile relève du concupiscible. Par appétit sensible, Thomas d’Aquin désigne les inclinations naturelles, c’est-à-dire des réactions naturelles que nous avons face aux informations qui nous renseignent sur la réalité. Un appétit, est une caractéristique de notre personne qui vise soit le bien, soit à nous protéger d’un mal. Pourquoi sensible ? Parce que cela vient des informations données par les 5 sens. Cela vient donc de ce que l’on appelle la sensibilité.

Selon Thomas d’Aquin, il existe 6 types d’émotions qui appartiennent à la catégorie du concupiscible.

  1. L’amour ;
  2. Le désir ;
  3. Le plaisir et la joie ;
  4. La haine ;
  5. L’aversion ou le dégoût ;
  6. La douleur et la tristesse.

L’émotion d’amour
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C’est l’émotion qui nous avertit de la présence d’un bien. Le problème c’est qu’il faut réussir à distinguer si ce bien est un bien apparent ou un bien réel. Par exemple, ce samedi vous êtes avec des copains et des copines. L’hôte vous a déjà servi un verre de Whisky Coca. L’hôte propose un deuxième verre. Un bien apparent serait de croire que le deuxième est bon pour vous. Du point du bien réel, il vaudrait mieux s’arrêter-là.

Les sophistes aiment manipuler nos émotions d’amour. Ils ont tendance à nous faire prendre des biens apparents pour des biens réels. Parfois, ils visent des biens réels mais en les mettant dans le mauvais ordre par rapport à la hiérarchie des biens. Par l’expression hiérarchie des biens, on désigne le fait que certains biens sont plus importants que d’autres et qu’il est bon de respecter les degrés d’importance.

Le désir
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Le désir c’est une émotion qui nous donne l’énergie pour aller vers le bien mis en évidence par l’émotion d’amour. Qui dit énergie, dit motivation. Encore faut-il que le bien en question soit un bien réel et non un simple bien apparent car autrement nous sommes motivés pour des choses qui ne servent à rien. N’oubliez pas que nous pouvons attraper des désirs comme des virus par simple imitation. C’est ce que nous rappelle René Girard.

Le plaisir et la joie
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Le plaisir, c’est l’émotion qui nous avertit que le bien est présent en nous. Cela s’appelle la satisfaction. Le plaisir est corporel. Or nous sommes des êtres corporels. La joie, c’est l’émotion qui nous avertit que le bien de notre âme est présent. La joie, c’est une satisfaction psychique ou spirituelle. Psychê en grec veut dire âme.

La haine
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La haine, c’est l’émotion qui nous avertit de la présence d’un mal. Il peut être bon rappeler ce qu’est le mal, ce qu’est le bien. Le mal, c’est ce qui nous prive d’un bien. Pour le dire autrement, le mal, c’est la privation d’un bien. Rappelons qu’on désigne par bien tout ce qui permet de préserver notre nature ou de l’épanouir. La distinction entre le bien et le mal n’est pas une invention humaine. C’est une distinction qui nous est donnée par la nature. Notre système nerveux, quand il est fonctionnel, sait nous le dire. Nous avons physiquement mal quand notre corps est en danger, nous éprouvons du plaisir quand notre corps est respecté dans son intégrité et son devenir.

Le mal comme le bien peut être apparent. Il peut aussi être réel. Le but c’est de savoir les distinguer.

L’aversion ou le dégoût
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L’aversion ou le dégoût nous donne l’énergie de fuir le mal. Rappel : le mal en question peut être apparent ou réel. L’énergie nous permet de fuir le mal. Est-ce que le dégoût varie en fonction des personnes. Réponse : oui et non.

  • Oui, dans le sens où nous avons tous une personnalité différente. Nous avons donc des spécificités personnelles qui ne sont valables que pour notre âme et notre corps.
  • Non dans le sens où nous partageons aussi une nature commune avec les autres membres de notre espèce.

La douleur et la tristesse
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La douleur, c’est l’émotion qui nous avertit qu’il y a un mal présent dans notre corps. La tristesse, c’est l’émotion qui nous avertit qu’il y a un mal présent pour notre âme. Je rappelle que le mal c’est la privation d’un bien, donc la tristesse nous donne deux informations. La première information qu’elle nous donne, c’est qu’il y a une privation. La deuxième information qu’elle nous donne c’est que c’est une privation d’un bien, et donc que ce bien était présent auparavant.

L’irascible
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L’irascible chez Thomas d’Aquin désigne l’ensemble des émotions qui nous permettent soit de connaître ou de rejoindre un bien difficile à atteindre, soit de connaître et d’éviter un mal difficile à combattre. Il y a 5 émotions car la première n’est pas une émotion selon Thomas d’Aquin. Le premier état, il l’appelle le calme, et c’est l’absence d’émotion au sens positif du terme, il n’y a ni bien ni mal à l’horizon. Les 5 autres états sont quant à eux des émotions :

  1. L’espoir ;
  2. L’audace ;
  3. La peur ou la crainte ;
  4. Le désespoir ;
  5. La colère.

L’espoir
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L’espoir, c’est l’émotion qui nous avertit de la présence d’un bien difficile à atteindre. Thomas d’Aquin parle de bien ardu. La vertu qui est chargée de modérer et de fortifier l’espoir en nous, c’est la magnanimité, qui étymologiquement désigne la grandeur d’âme.

L’audace
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L’audace, c’est une passion qui nous donne l’énergie pour affronter les maux futurs qui nous empêchent d’atteindre un bien. L’audace se distingue de l’espoir en ceci qu’elle nous permet d’affronter les obstacles alors que l’espoir vise un bien ardu. La vertu qui fortifie l’audace, c’est le courage ou la force. N’oublions pas que les maux en question doivent être des maux réels et non des maux apparents. Sinon on se bat contre des moulins à vents (voir Don Quichotte).

La crainte ou la peur
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C’est une émotion qui nous avertit de la présence d’un mal futur pour nous éviter de connaître la douleur ou la tristesse. Encore faut-il que ce mal futur soit réel, sinon la peur peut nous paralyser ou nous empêcher de prendre la bonne direction.

Le désespoir
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C’est une émotion qui nous avertit que le mal qui s’annonce est trop grand pour réussir à l’affronter. La difficulté est au-dessus de nos forces. Le désespoir est légitime quand le mal annoncé est réel. Il est illégitime quand c’est notre imagination qui nous joue des tours. Comme toujours, c’est notre intelligence, et non pas notre sensibilité ou notre imagination, qui nous dira si ce mal est réel ou non.

La colère
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La colère est une émotion qui nous avertit de la présence d’un mal actuel difficile à vivre. Encore faut-il vérifier que ce mal est réel et non pas imaginaire ou apparent.

Bon ordre de nos facultés
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Je rappelle qu’il existe un bon ordre d’utilisation de nos facultés. Le voici :

  1. Utiliser toujours en priorité l’intelligence, parce que c’est la faculté qui nous permet de connaître le réel tel qu’il est. Or nous ne vivons pas dans notre imagination ou dans nos désirs, mais dans le réel.
  2. En second, on place toujours la volonté, car c’est elle qui a le pouvoir de placer l’intelligence en 1.
  3. La sensibilité se place toujours après l’intelligence et la volonté, car nos émotions peuvent se tromper, et leur intensité peut être en décalage complet avec la situation présente. En revanche, il est bon que l’intelligence tienne compte des émotions, même si c’est pour en définitive les rejeter dans certaines circonstances.
  4. Il est bon de ne pas oublier l’imagination, mais à condition qu’elle soit en dernière place. L’imagination bien utilisée permet d’avoir une vision d’ensemble de la situation.

Compléments
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Pour ceux qui préfèrent les mindmaps, vous pourrez les trouver dans mon cours pour les terminales en cliquant sur l’image suivante :

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