Vous trouverez le document PDF de cet article ici : Tempérance et Philosophie.
Finalité du cours de Philosophie #
- Préparer les épreuves du bac ;
- Prendre de bonnes habitudes pour les études supérieures ;
- Développer sa maîtrise de soi pour fortifier sa liberté.
Importance de la Tempérance #
La devise de Socrate #
Platon (-427, -347) nous dit que son maître Socrate (-469, -399) avait pour devise celle qui était inscrite sur le temple de Delphes dédié au dieu Apollon : « Connais-toi toi-même ! ». Il ajoute dans son livre Protagoras qu’elle était suivi de cette précision : « Rien de trop ! »
Cette devise vise la Sophrosunè. La Sophrosunè, c’est la vertu de tempérance, celle qui permet de rester sain d’esprit et qui pour ce faire préserve le jugement.
La vertu de Tempérance #
Nous prendrons le temps de revenir sur les notions de Vertu et de Tempérance, mais il est bon déjà de mémoriser ce qui suit :
- Le mot tempérance en français est assez fade par rapport à ce que le mot latin temperantia et le mot grec sophrosunè signifient ;
- La vertu de tempérance, c’est l’Intelligence Ordonnatrice ;
- Le latin temperare signifie « réaliser une unité harmonieuse à partir d’une multiplicité » ;
- Le latin temperamentum, qui a donné notre tempérament, signifie « juste mélange » ;
- Le latin temperatio signifie « disposition adéquate » ;
- Enfin, le latin temperator signifie « ordonnateur, organisateur ».
La vertu de Tempérance, en tant qu’Intelligence Ordonnatrice est une vertu de discipline et de mesure. Par discipline, il faut entendre avec Thomas d’Aquin (1225, 1274) la paix du Cœur (quies animi). Le Cœur dont il est question, c’est le noyau décisionnel de la personne. Même si la notion de cœur en philosophie a un lien avec les émotions, il est beaucoup plus proche de ce que nous désignons par le mot français Courage qui a d’ailleurs la même racine étymologique. Discipline veut donc dire : « Mettre de l’ordre en soi-même », « Mettre de l’ordre dans son Cœur ».
Auto-conservation désintéressée #
Le philosophe allemand Josef Pieper (1904, 1997), dans son livre Le Quadrige, soutient que la vertu de tempérance, en tant qu’intelligence ordonnatrice est une auto-conservation de soi désintéressée. Pour comprendre ce qu’il veut dire, il faut revenir au sens du XVIIème siècle du mot intérêt : qualité de ce qui retient l’attention. Être désintéressé prend alors un sens très précis, c’est réussir à ne pas laisser notre attention se faire capter pour décider par nous-même où nous devons porter notre attention en priorité. La _tempérance est donc une force intérieure qui dirige notre attention. Cette force intérieure correspond à ce que l’on désigne avec les expressions de liberté intérieure ou de sérénité.
Ainsi si nous utilisons des anciens termes romains, le temperator, celui qui est tempérant, est un Dux, c’est-à-dire un Duc en français. Le tempérant est le duc de soi-même, il est tel un général d’armée capable de l’emporter sur ses ennemis, c’est-à-dire l’ensemble des choses qui captent son attention. Il est suffisamment exercé, expérimenté, pour mettre le bon ordre, l’ordre cosmique, dans l’organisation de sa vie sans que son attention ne se laisse éparpiller par des choses futiles.
L’ordre cosmique #
Ce bon ordre est simple à retenir. Il faut mettre dans son existence ses facultés dans l’ordre qui convient pour être heureux, l’ordre qui convient pour assurer le Bien Commun. Cet ordre est l’ordre cosmique, l’adjectif cosmique en grec signifie « qui est bien rangé », « qui est ajusté à l’ordre de la réalité ». Pourquoi cet ordre ? Tout simplement parce que nous vivons dans la réalité et non dans notre imagination. Nous vivons dans les contraintes du réel, non dans nos souhaits ou nos rêves. Et, si nous voulons incarner nos rêves, il nous faudra les réaliser dans les contraintes du réel, non dans la facilité de l’imagination. Quel est cet ordre ? Le voici :
- I. Mettre en premier son INTELLIGENCE pour connaître le réel tel qu’il est avec ses contraintes ;
- V. Utiliser sa VOLONTÉ pour fortifier son intelligence et mettre en pratique ce qu’elle conseille ;
- S. Prendre soin d’écouter sa SENSIBILITÉ pour avoir accès au réel extérieur et au réel intérieur ;
- I. Utiliser son IMAGINATION dès qu’elle peut être utile aux trois autres facultés.
Temperator ≠ Imperator #
Si nous continuons de filer la métaphore des termes romains utilisés, le dux, le général d’armée, s’il sortait victorieux de toutes les batailles, obtenait le titre d’Imperator, qui voulait dire du temps de la République Romaine, « le général victorieux ». Ce titre sera utilisé ensuite dans l’Empire Romain, pour désigné le chef suprême des armées, c’est-à-dire l’Empereur. Si nous revenons à notre tempérant, le tempérant c’est le duc de sa vie, mais ce n’est pas l’empereur de sa vie. Cela signifierait qu’il réussirait à être toujours victorieux des batailles contre tous les ennemis qui captent son attention. Or cela demande une force surhumaine de pouvoir toujours contrôler son attention. Nous pouvons augmenter notre force d’attention, mais cette force restera limitée. Certes, ne pas augmenter sa force d’attention, c’est peu à peu perdre sa liberté, mais croire qu’il serait possible de toujours diriger son attention n’est pas réaliste.
Être temperator, être Duc de sa vie, c’est donc être maître de soi, c’est-à-dire suffisamment fort moralement pour garantir sa liberté. Cette force ne sera pas infinie, mais il est préférable qu’elle soit suffisamment grande. Sinon, nous rêverons beaucoup, mais nous réalisereons peu et nous finirons notre vie en regrettant le courage qui nous a manqué. Ce courage n’est possible que grâce à la tempérance. Sans tempérance, pas de courage.
But : la Justice #
Cette tempérance, cet ordre cosmique, possède un but précis. Ce but c’est la Justice en tant que vertu. La vertu de justice, c’est la force morale qui permet de rendre à chacun selon son dû. On entend par dû, ce que la nature du vivant concerné recquiert pour vivre et s’épanouir. Le dû, c’est le bien dû, le bien qui lui appartient en propre ou qui doit lui appartenir en raison de sa nature propre. Par exemple, une personne humaine pour pouvoir vivre et s’épanouir a besoin d’avoir suffisamment à manger et à boire. La justice demande donc de satisfaire les besoins essentiels des personnes. Le manger et le boire sont donc des biens dus pour tout être humain, il ne saurait y avoir de justice sans respect de ces biens.
Duc de sa propre vie #
Être Duc de sa vie veut donc dire être capable de mettre son intelligence au-dessus de sa volonté, elle-même au-dessus de sa sensibilité, pour conserver son imagination en 4ème position. Cela veut dit qu’il ne laisse pas son attention être captée par autre chose que le bon ordre qu’il veut. Non pas l’ordre qu’il désire mais l’ordre qu’il veut. La volonté n’est pas le désir. Le désir relève de la sensibilité, non de la volonté. Être duc de sa vie, c’est donc être suffisamment maître de soi pour apprivoiser sa sensibilité, apprivoiser ses émotions. Cela ne veut pas dire qu’il faut rejeter ses émotions. Cela veut dire qu’il faut les apprivoiser, c’est-à-dire les organiser dans le bon ordre. Cela demande de développer une véritable connaissance de ses émotions. Ce n’est pas un mince travail. La suite de cette introduction présentera justement les principales émotions.
Discipline #
Philosopher recquiert d’être duc de sa vie, d’être tempérant. Ce n’est pas une petite aventure. Philosopher ne peut donc pas se faire sans discipline. Pour bien le comprendre, nous aurons besoin de distinguer le philosophe du sophiste. C’est ce que nous ferons dans la troisième partie de cette introduction. Plus encore, il nous faudra comprendre comment bien utiliser notre intelligence, c’est ce que nous verrons dans la deuxième série de cours.
Devise de cette année #
Pour terminer ce cours, nous prendrons une devise qui orientera le cours de philosophie tout au long de l’année. C’est une devise qui nous vient d’Augustin : « Aime et fais ce que tu veux ! ». Pour bien la comprendre, il faut distinguer l’amour comme bienveillance manifeste et l’émotion d’amour. Nous reverrons l’émotion d’amour dans le cours suivant. Disons déjà que l’amour véritable ne se réduit pas à une émotion ou un sentiment. L’amour véritable, c’est la volonté de faire son possible pour faire le bien de l’autre. Donc pour comprendre cette devise, il faut bien comprendre ce qu’est l’amour véritable et ce qu’est la volonté. C’est justement le rôle de cette discipline que nous nommons philosophie.