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La démocratie peut-elle exister sans propagande ?

Auteur
Yann Lebatard
Professeur de philosophie
Sommaire
Propagande - Cet article fait partie d'une série.
Partie 1: Cet article

Vous trouverez le document PDF de cet article ici : propagande

Problématique
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Nous avons vu la distinction entre philosophe et sophiste et combien il était parfois difficile de les distinguer. Nous allons voir maintenant qu’il est d’autant plus difficile de les distinguer que nous ne connaissons pas le fonctionnement de la rhétorique. Avant d’avoir une vision d’ensemble des grands principes de la rhétorique, il me semblait important de prendre conscience de son utilisation dans nos sociétés contemporaines, particulièrement dans nos sociétés démocratiques que nous avons parfois tendances à idéaliser.

Pour introduire les pouvoirs de la parole, il m’a semblé bon de vous présenter deux penseurs américains et un penseur anglais qui ont eu un impact majeur sur le devenir du fonctionnement de nos démocraties occidentales :

  1. Walter Lippmann
  2. Edward Bernays
  3. Aldous Huxley

Nous parlerons essentiellement dans cette série d’articles de ce qui s’est passé aux États Unis d’Amérique au cours du XXème siècle. Il nous restera à nous demander si ce que nous verrons ici est transposable à notre république française actuelle, ou si c’est une spécificité américaine.

On pourrait croire en effet que la liberté d’expression essentielle au fonctionnement républicain des États Unis d’Amérique permet au peuple d’exercer sa liberté politique. Cependant nous verrons qu’il est facile pour les citoyens de se laisser manipuler par des experts en communication. Pour le voir, il nous faut prendre conscience de ces techniques de manipulation que l’on désigne depuis Walter Lippmann par l’expression : « la fabrique du consentement ». En découvrant ces techniques, nous verrons donc que la liberté d’expression ne suffit pas à garantir la liberté politique des citoyens. Nous pourrons nous demander alors s’il existe un remède à cette manipulation.

C’est dans la découverte de la distinction faite par Platon dans son livre le Gorgias entre rhétorique et philosophie que nous trouverons l’un des remèdes possibles. C’est ce que nous verrons dans la suite de nos cours en Humanités Littératures et Philosophie. J’ai choisi de commencer par des exemples du XXème siècle pour mieux vous faire prendre conscience que des textes vieux de plus de 2400 ans peuvent toujours être des remèdes efficaces pour vivre nos responsabilités de citoyens de manière éclairée.

Cependant pour clore cette problématique, il me paraissait utile de vous faire connaître cette citation d’un autre philosophe plutôt de tendance socialiste, libertaire et anarchiste américain Noam Chomsky :

« La propagande est à la démocratie ce que la matraque est à un État totalitaire. »

Cette citation est suffisamment provocatrice pour nous maintenir dans un état d’interrogation critique vis-à-vis de notre propre rôle de citoyen aujourd’hui.

Walter Lippmann : la propagande est indispensable
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Le journaliste et économiste américain Walter Lippmann publie en 1937 un livre qui s’intitule : La cité libre. Ce sera l’un des actes fondateurs du néolibéralisme. Il conseillait en effet aux hommes politiques de nos démocraties de fabriquer le consentement des masses afin de les conduire vers l’adaptation de l’espèce humaine à la mondialisation de notre économie.

C’était une manière d’utiliser en sa faveur La Déclaration d’Indépendance des États-Unis d’Amérique rédigée par celui qui deviendra le 3ème président des USA, Thomas Jefferson. Celui-ci y stipulait notamment :

« Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés… » (4 juillet 1776).

Remarquons que cette citation comporte de très belles valeurs mais que pour qu’elles restent de belles valeurs, il est fort utile de bien définir chacun des concepts, particulièrement ceux de liberté et de recherche du bonheur. En effet, ce n’est pas la même chose de viser la liberté d’indifférence ou de viser la liberté de qualité. Ce n’est pas non plus la même chose de définir le bonheur comme recherche égoïste des plaisirs ou comme actes d’amour et de connaissance. Par ailleurs la notion de consentement peut désigner deux choses très différentes :

  • Soit le consentement qui vient d’une persuasion et qui fait donc appelle à la manipulation mentale et affective ;
  • Soit le consentement qui vient d’une conviction et qui fait appelle au travail de l’intelligence et de la raison.

Cette mondialisation de l’économie, qu’il envisageait comme un idéal, prétendait en effet servir la liberté. Outre le fait que la mondialisation suppose d’avoir les énergies suffisantes pour nourrir nos esclaves énergétiques, le mot liberté est souvent très séduisant mais aussi très mal compris. Il nous est facile de nous dire amoureux de la liberté sans être sûr pour autant que nous donnions chacun le même sens à ce mot. C’est là qu’une réelle culture philosophique permet de discerner ce que pense réellement tel ou tel écrivain, tel ou tel orateur. C’est là que, par manque de culture, on peut parfois trouver les propos de Walter Lippmann séduisants, alors même qu’il a une fâcheuse tendance à comparer la masse du peuple à une masse de bêtes sauvages. Voilà ce qu’il dit en effet dans son livre The Phantom Public publié en 1927 :

« Le public doit être mis à sa place afin que les hommes responsables puissent vivre sans craindre d’être piétinés ou encornés par le troupeau de bêtes sauvages. »

Pour réussir à obtenir le consentement des masses, Walter Lippmann préconisait aux hommes politiques ou aux influenceurs de son temps, de prendre le contrôle des médias et des sciences humaines via les universités (ou l’ensemble du système scolaire). Ce contrôle permet en effet de réussir à fabriquer le consentement des masses. C’est ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui de l’ingénierie sociale, des relations publiques ou depuis que la manière de faire c’est encore plus développée, du storytelling. On retrouve alors l’application des grands principes de la rhétorique mis en évidence par les sophistes et les philosophes de l’antiquité, en tenant compte cependant de l’invention des nouveaux médias et des découvertes récentes réalisées au niveau de la psychologie des foules.

Edward Bernays : le praticien de la propagande
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Walter Lippmann aura de nombreux disciples. L’un d’eux aura une influence importante avec son livre Propaganda écrit en 1928 : il s’agit du double neveu du médecin psychologue Sigmund Freud, l’américain Edward Bernays.

Nous allons commencer le cours de philosophie de cette année par un documentaire qui porte justement sur la vie d’Edward Bernays. C’est une entrée en matière qui peut vous sembler surprenante.

Elle nous permettra de nous apercevoir que les vieux débats antiques autour des pouvoirs de la parole sont plus que jamais d’actualité. Même si ces vieux débats sont toujours d’actualité, il ne faudrait cependant pas sous-estimer les puissances tout à fait nouvelles que nous offrent les nouveaux médias, puissances nouvelles que l’antiquité ne connaissait pas. Plus particulièrement, il nous faudra considérer que depuis Walter Lippmann et Edward Bernays, un bon technologique gigantesque a été réalisé grâce en particulier aux G.A.M.A.M..

Le défi que je vous lance avant de regarder le documentaire sur Edward Bernays, c’est d’essayer de transposer ce que vous allez découvrir comme méthodes de propagande aux nouveaux moyens de communication que représentent les réseaux sociaux, internet, les IA, et les nouveaux moyens de pistage des citoyens que représentent nos téléphones portables avec les techniques de contrôle du Big Data.

  • Regardons-le : il est ici.
  • Interview du réalisateur du documentaire : ici.
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