Aller au contenu
Background Image
  1. Articles/

Nécessité de la métaphysique

Auteur
Yann Lebatard
Professeur de philosophie
Sommaire
Intelligence-Term - Cet article fait partie d'une série.
Partie 9: Cet article

Présentation d’Étienne Gilson
#

Étienne Gilson (1884-1978) fut sans doute l’un des plus célèbres historiens de la philosophie français. Sa célébrité reste présente encore aux USA et au Canada même si malheureusement, pour des raisons mystérieuses, l’éducation nationale française semble avoir oublié sa grandeur. En 1937 à l’âge de 53 ans, il publie en anglais à New York un livre remarquable par la profondeur de son érudition. Il faudra malheureusement attendre 2016 pour que son livre soit traduit en français aux éditions Petrus a Stella sous le titre : L’unité de l’expérience philosophique.

L’unité de l’expérience philosophique
#

À la fin de ce livre, de la page 300 à la page 314, il résume les quelques lois qu’il est possible d’extraire de la longue histoire de la philosophie avec les différentes querelles nées au cours des siècles entre les différents philosophes qui se sont succédés. Ces lois permettent de mettre en évidence le rôle d’une science particulière qui conditionne toute les avancées des autres sciences. Cette science particulière porte un nom, c’est la métaphysique et Aristote a été le premier à la systématiser. La métaphysique est donc une branche essentielle de la philosophie de sorte qu’il est impossible de faire de la philosophie sans métaphysique et une philosophie qui se passerait de la métaphysique affirmerait par là-même une certaine position métaphysique. De même, toute science, sous-entend une position métaphysique même si parfois elle n’en est que très peu consciente.

Pour que les scientifiques futurs ne soient pas des propagateurs d’une religion de l’homme qui entraîne l’humanité dans la démesure et finalement vers sa propre auto-destruction, il me semble utile de faire connaître ici les conclusions d’Étienne Gilson. Libre ensuite à chaque apprenti philosophe ou scientifique de tenir compte de ses conseils.

Application de la méthode socratique
#

Une fois qu’on maîtrise la méthode socratique, on s’aperçoit qu’Étienne Gilson l’applique à l’histoire de la philosophie. Il utilise l’induction pour généraliser des lois générales qui s’appliquent aux différentes controverses philosophiques puis il utilise l’abstraction pour mettre en évidence des lois universelles. Voici maintenant les 7 lois universelles qu’il met en évidence pour la philosophie. Ces lois s’appliquent à toutes les sciences puisque les sciences ont besoin de la philosophie comme servante pour pouvoir réaliser leurs propres recherches.

Les 7 lois de la philosophie
#

  1. « La philosophie enterre toujours ses fossoyeurs » ;
  2. « L’homme, de par sa nature même, est un animal métaphysique » ;
  3. « La métaphysique est la science qu’acquiert une raison qui est par nature transcendante, lorsque cette raison recherche ce que sont les premiers principes, ou les causes premières, de ce qui est donné dans l’expérience sensible » ;
  4. « Du fait que la métaphysique vise à transcender tout savoir particulier, aucune science particulière n’a compétence soit pour résoudre les problèmes métaphysiques, soit pour juger de leurs solutions métaphysiques » ;
  5. « Les échecs des métaphysiciens découlent de l’usage inconsidéré qu’ils font d’un principe d’unité présent dans l’esprit humain » ;
  6. « Puisque l’être est le premier principe de toute connaissance humaine, il est a fortiori le premier principe de la métaphysique » ;
  7. « Il faut faire remonter tous les échecs de la métaphysique au fait que les métaphysiciens ont soit négligé le premier principe de la connaissance humaine, soit qu’ils en ont fait un mauvais usage. »

La philosophie et ses fossoyeurs
#

À chaque fois que le scepticisme, c’est-à-dire le doute généralisé, a pris de l’importance dans l’histoire de la philosophie, une renaissance de la philosophie émerge. L’homme ne peut pas vivre avec le doute généralisé. L’absence de certitude est impossible à vivre. L’erreur du doute généralisé c’est de croire que l’absence de certitude sur tous les domaines de connaissance revient à n’avoir aucune certitude. Le scepticisme n’est pas viable car il n’est pas réaliste. Le fait même d’être capable de se nourrir indique que nous sommes capables de connaître avec certitude ce qui est comestible.

Le doute généralisé, c’est-à-dire le scepticisme, c’est de se laisser emporter par ses propres déductions en oubliant de vérifier si elles sont réalistes. La philosophie par nature ne peut pas être sceptique, le scepticisme finit toujours par être écarté, même s’il a tendance à revenir dans l’histoire de la philosophie. Étienne Gilson ne le dit pas mais on pourrait dire avec Max Scheler que le scepticisme est une des conséquences de « l’homme de ressentiment ». « L’homme de ressentiment » finit par croire que ce que lui suggère son émotion de désespoir représente la vérité, il laisse son désespoir prendre le contrôle de son intelligence.

L’homme est un animal métaphysique
#

Même si les philosophes ont pu se tromper sur les premiers principes, on s’aperçoit que la raison humaine cherche toujours à connaître les premiers principes. Inévitablement, la raison humaine se pose la question des premiers principes. C’est d’ailleurs pourquoi il faut une forte propagande qui interdit le fait même de se poser la question pour que cette question n’apparaisse que très peu à une époque déterminée. Sans propagande, la question ressurgit inévitablement, et même avec elle, elle ressurgit ici ou là. L’homme est par nature un animal métaphysique, il n’y a que la peur ou l’attrait des plaisirs qui peut lui faire oublier cette nature, et même avec la peur et le plaisir à la fin la question des premiers principes se présente souvent.

Nature de la métaphysique
#

La métaphysique est la science dont l’objet d’étude porte sur les premiers principes de la connaissance humaine. Sa méthode lui est propre et lui vient de son objet d’étude. Elle s’aperçoit très vite qu’elle n’invente pas ses premiers principes mais qu’elle les découvre en étudiant le processus même de connaître. Les premiers principes prennent donc leur source dans l’expérience sensible au contact avec le réel. Pour le dire autrement, les premiers principes viennent du réel qui dépasse infiniment toute connaissance humaine. Le réel infini dépasse toujours les capacités limitées de nos intelligences de mortels. C’est pourquoi la raison inévitablement découvre la transcendance de son propre fonctionnement. Le mot transcendance désigne tout ce qui nous dépasse, tout ce qui est au-delà de nos propres capacités. Le réel nous dépasse, les premiers principes de notre connaissance nous dépasse dans le sens où nous ne sommes pas leurs créateurs, nous les recevons de l’expérience même que nous avons avec le réel.

Le fait que le réel nous dépasse ne veut pas dire que nous ne pouvons rien connaître de lui, mais seulement que notre connaissance du réel est forcément limitée. Une connaissance limitée n’est pas l’absence de connaissance.

Aucune science particulière ne peut remplacer la métaphysique
#

Chaque science particulière étudie une région particulière de l’être. La biologie va étudier les être vivants. La physique va mettre en évidence les lois de la matière. La psychologie va étudier le fonctionnement de l’âme humaine et particulièrement celui de nos émotions et de nos sentiments. Les mathématiques vont étudier les nombres et les grandeurs. La sociologie va étudier le fonctionnement des sociétés humaines. La politique va étudier les différentes manières d’organiser la vie des états qui représentent des groupes humains particuliers. Un état ne correspond ni à une entreprise ni à une simple association.

Aucune de ces sciences n’est apte à fournir des conseils pour la métaphysique. Leur méthode vient de leur objet d’étude, elles ne sont pas faites pour étudier les premiers principes de la connaissance. La métaphysique est donc une science à part, c’est la science des premiers principes. Sa méthode lui vient de l’étude même de ces premiers principes.

Toutes les sciences utilisent la métaphysique, qu’elles en soient conscientes ou non. C’est inévitable puisqu’il y a toujours des premiers principes de notre connaissance. Le fait que nous naissons, que nous commençons à être, fait qu’il est inévitable que nous commencions nos démonstrations. Nos démonstrations ne peuvent pas remonter à l’infini, il faut donc toujours des premiers principes. Cependant ces premiers principes demandent une science dédié qui les étudie. C’est justement cette science qui s’appelle la métaphysique.

Usage inconsidéré d’un principe d’unité
#

La raison humaine recherche toujours une unité des différentes expériences qu’elle étudie. Cette recherche d’unité consubstantielle à la raison humaine se présente donc dès que l’on fait usage de la raison. L’erreur consiste à chercher cette unité dans une région particulière de l’être et donc dans une science particulière. Les pythagoriciens, qui seront repris par Galilée, et par d’autres pratiquants des sciences occultes, verront le principe d’unité dans les nombres ou dans la géométrie.

D’autres penseurs rêverons d’une unification des sciences grâce aux sciences physiques. D’autres interprèterons tout à partir de la libido. À chaque fois, c’est la même erreur qui se rejoue de différentes manières : utiliser une science particulière pour trouver l’unité de nos expériences.

L’être est le premier principe
#

Pour trouver le premier principe de notre connaissance, il faut répondre à la question : Quel est le point commun qui rassemble tous nos objets d’étude ? Qu’est-ce qui est commun aux vivants, aux minéraux, aux émotions, aux sociétés, etc. ? La réponse est finalement plutôt facile mais elle est parfois trop évidente pour qu’on réussisse à l’apercevoir. La notion d’être est la notion la plus commune qui soit. Une émotion est, en quelque sorte, c’est une modification de notre âme, qui elle-même doit bien d’abord être pour être modifiée. Un être vivant, est un être. Un minéral est un être. Le nombre aussi est un être même si on peut se poser la question de savoir si c’est un être de raison ou un être réel.

La notion d’être est donc la notion la plus commune qui soit, c’est elle qui rassemble tous nos objets d’étude. De plus, pour connaître il faut d’abord être un être capable de connaître. Il faut être pour connaître, on ne peut pas connaître avant d’être. L’être est donc le premier principe de la connaissance. Notre connaissance vise des êtres et ne peut être connaissance sans qu’il y ait d’abord un être qui connaît. On retrouve alors une célèbre formule de l’histoire de la philosophie : la métaphysique est la science de l’être en tant qu’être.

Toutes les sciences reposent sur une métaphysique signifie que toutes les sciences portent sur des êtres et partent du principe qu’il nous est possible de connaître les êtres étudiés. S’il était impossible d’étudier les êtres concernés, il n’y aurait pas de science. La biologie part du principe que l’on peut connaître les êtres vivants. Elle vise la connaissance d’êtres réels non des êtres inventés par les êtres humains. Même les races apparues par sélections successives possèdent quelque chose en elles qui dépasse les techniques de sélection, elles possèdent une source d’être qui nous dépasse.

Les échecs en métaphysique viennent d’une méconnaissance du premier principe
#

Étienne Gilson soutient que les erreurs métaphysiques viennent toujours de l’oublie du premier principe ou du mauvais usage du premier principe. Les sciences font des erreurs métaphysiques quand elles oublient que l’être est le premier principe de notre connaissance. L’être nous est donné en premier. Il en va de même pour cette activité particulière qu’on appelle la philosophie. La philosophie n’est pas une science comme les autres, c’est l’amour de la sagesse. Cet amour requiert la métaphysique, c’est-à-dire la science de l’être en tant qu’être mais se distingue d’elle. La philosophie est une sorte d’art plutôt qu’une simple science, elle suppose à la fois des connaissances et des pratiques vertueuses.

Ouverture à Dieu
#

La loi de laïcité qui s’impose aux professeurs qui sont payés par l’état français empêche d’aller plus loin. L’état français considère que la question de l’existence de Dieu est une question qui relève de la sphère du privé. L’état français nous prive de cette question dans la sphère publique, et interdit aux professeurs d’en parler en public dans le cadre de leur mission publique. Pourtant, la nature de l’intelligence humaine, dont le premier principe s’avère l’être, fait que la question de l’origine de l’être se pose inévitablement.

Dès que l’intelligence humaine se pose la question de l’être, elle se pose la question de l’origine de l’être. La question de Dieu devient donc inévitable. La simple histoire de la philosophie nous le montre de toute façon de manière factuelle. Depuis le début la question de l’existence d’un Être suprême se rencontre en philosophie. Les manières de s’interroger sur la nature de cet Être suprême sont évidemment variées dans la longue histoire de la philosophie. Entre le déïsme, le théisme, le panthéisme, le christianisme trinitaire, l’agnosticisme et l’athéisme, entre autres, les représentations sont variées.

C’est pourquoi il existe factuellement dans la longue histoire de la philosophie une grande proximité entre la métaphysique et la théologie. Il faut attendre la révolution française et surtout la loi de la laïcité française de 1905 pour que la théologie et la métaphysique deviennent presque des questions taboues sur notre territoire. Très souvent elles sont reléguées à des institutions privées.

Remarquons qu’en interdisant de parler de la question de Dieu en public, c’est l’athéisme qui est publiquement choisi. Certes, en privé, les français sont encore libres d’en parler, mais en public, la tolérance tant vantée ressemble à l’imposition d’un choix particulier. En même temps, les français sont-ils assez matures pour réussir à parler de leurs différences religieuses en public sans se faire des reproches ? Sans chercher à imposer aux autres leurs propres représentations ?

Répondre par email
Intelligence-Term - Cet article fait partie d'une série.
Partie 9: Cet article

Articles connexes

Les sciences peuvent-elles nous conduire à la certitude ?
La démonstration peut-elle nous aider à mieux connaître le réel ?