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La Gnomê

·923 mots·5 mins·
Auteur
Yann Lebatard
Professeur de philosophie
Sommaire
Conscience - Cet article fait partie d'une série.
Partie 3: Cet article

Définition de la gnomê
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La Gnomê est une vertu potentielle de la vertu de prudence. Cela veut dire que c’est une force morale que nous pouvons développer qui permet d’améliorer la vertu de prudence. Cependant, si nous n’avons pas cette vertu, la plupart du temps, nous pouvons quand même réussir à être prudent. Il y a cependant une exception à cette affirmation, car dans les moments où les événements deviennent de plus en plus chaotiques et imprévisibles, sans Gnomê la prudence devient impossible.

La Gnomê consiste dans une hypersensibilité aux changements qui se produisent dans le réel. C’est une hypersensibilité du sens de l’observation, une grande attention aux nouveautés. La plupart du temps nous vivons dans un monde relativement stable où les règles du passées valent pour le temps présent et semblent valoir pour les temps futurs. Mais voilà, le monde change et évolue, et parfois il évolue plus vite que ce que la plupart des gens arrivent à discerner. C’est d’autant plus vrai dans un monde où il y a une accélération des progrès technologiques. De nombreuses personnes n’arrivent pas à suivre les impacts des changements technologiques sur les croyances humaines et sur la conception du pouvoir de domination. Ils interprètent les données du réels avec le prisme déformant de ce qui était valable dans le passé.

Lanceur d’alerte ≠ complotiste
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C’est là que les lanceurs d’alerte sont si importants. C’est l’appellation contemporaine de ce que les anciens désignaient par hommes prudents possédant la Gnomê. Évidemment, il ne faut pas confondre la Gnomê avec la paranoïa, ou la tendance à être complotiste (c’est-à-dire à voir des complots là où il n’y a que la complexité du réel). Ce sont 2 choses complètement différentes. La Gnomê regarde avec observation fine le réel tel qu’il est en cherchant l’objectivité. Le complotiste interprète le réel avec son imagination et ses peurs.

Celui qui possède la Gnomê ou qui essaie d’accroître sa Gnomê, travaille sérieusement en faisant une vraie recherche pour discerner les nouveautés qui apparaissent dans le réel dans lequel il vit. Il confronte les avis divergents et discerne les nouveautés réelles qui apparaissent. Le complotiste, simplifie la complexité du réel pour l’interpréter à l’aide d’une idéologie, il ne travaille pas, il se raconte des histoires.

Exemple historique
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Nous avons heureusement un exemple historique dans notre histoire de France, c’est l’exemple de Charles de Gaulle qui a osé se mettre en désaccord avec son maître et protecteur, Philippe Pétain. En regardant attentivement l’évolution de la mécanisation des armes, il avait pris conscience que les anciennes tactiques militaires deviendraient inefficaces. Il conseillait donc, contre les avis de son vieux maître et de ses disciples, de créer une armée de métier avec un corps spécialisé dans les blindés. Son maître a préféré croire qu’il n’était finalement qu’un ambitieux qui cherchait à accroître sa propre réputation et lui a donc retiré son soutien. On connaît la suite de l’histoire : De Gaulle avait vu juste, et la France a perdu face aux blindés nazis.

Actualité de la gnomê
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Qu’en est-il aujourd’hui ? Croyez-vous que les français d’aujourd’hui seraient capables d’écouter les lanceurs d’alerte ? Ou croyez-vous que comme dans les années 30, les lanceurs d’alerte seraient plutôt déconsidérés et traités de complotistes (nouveau mot fourre-tout à la mode) ?

Winston Churchill disait que la seule leçon que nous pouvions tirer de l’histoire c’est que les hommes sont incapables de tenir compte des leçons de l’histoire. Par constat réaliste, il est à craindre que Churchill n’ait raison.

Quel lycéen actuel prendrait ou trouverait le temps de lire les derniers livres des philosophes Olivier Rey, Fabrice Hadjadj, ou Éric Sadin, ou ceux de la sociologue Shoshana Zuboff, qui analysent dans le détail les évolutions technologiques liées au transhumanisme, à l’intelligence artificielle et au Big Data ? Pourtant, ils mettent en évidence les impacts que ces technologies ont sur le concept de domination. Sans doute très peu, non ? Et avec les mauvaises nouvelles du monde, les différentes crises économiques et politiques, la guerre en Ukraine, à Gaza, et la crise énergétique, ne croyez-vous pas que le déni et les médisances contre les lanceurs d’alerte risquent plutôt d’augmenter ? Et si, en plus, via les réseaux sociaux, de véritables complotistes diffusaient des histoires abracadabrantes, ne croyez-vous pas que la confusion entre lanceurs d’alerte véritables et complotistes deviendrait alors monnaie courante ?

Risque des médisances interprétatives et des dénis
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En effet, les médisances interprétatives et le déni des dangers réels sont plus faciles à réaliser que le travail de recherche pour vérifier que ce que disent les lanceurs d’alerte est fondé, surtout si ce qu’ils disent augmente le sentiment d’impuissance face aux dangers. Par ailleurs, les médisances et le déni sont souvent faciles à partager et la puissance du nombre vient souvent faire croire que s’ils sont partagés, c’est qu’ils sont vrais, comme si la vérité était fonction du nombre de personne qui la proclame ! Il est en effet plus difficile de partager une analyse de la réalité car cette dernière passant par la démonstration patiente et précise demande beaucoup plus de temps pour être lue et comprise. Les médisances et le déni peuvent se dire en très peu de mots. Avec la mode des courts messages, ils sont donc plus facilement partageables.

Je crains donc que nos contemporains manquent malheureusement d’amour pour la Gnomê. Pourtant, dans les moments où l’imprévisibilité des actions humaines augmente, la Gnomê est l’une des forces morales dont nous avons besoin. Il est bon que nous nous encouragions à la développer.

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