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Apprivoiser ses émotions. #
Nous avons dit dans la première partie de cette introduction qu’Être duc de sa vie, c’est être suffisamment maître de soi pour apprivoiser sa sensibilité, apprivoiser ses émotions. Cependant, il n’est pas facile de réussir à apprivoiser ses émotions. La première chose qu’il nous faut pour réussir à le faire, c’est d’apprendre à mieux les connaître.
Il est bon de comprendre aussi que les émotions ne sont pas mauvaises en soi, même si elles peuvent être difficiles à vivre et parfois en décalage avec la réalité. L’idée d’utiliser le verbe apprivoiser me vient d’une méditation qui prend sa source dans l’un des vieux mots de la langue française qui désigne une modalité de la tempérance. C’est le mot mansuétude, une sorte d’habitude de la main. La mansuétude, c’est une disposition spirituelle et corporelle qui s’obtient par l’exercice habituel du corps (la main) afin de faire preuve de juste mesure vis-à-vis des personnes que nous rencontrons.
La mansuétude, c’est la force morale qui nous permet d’apprivoiser l’animal que nous sommes. Nous savons tous que les animaux sont sensibles et éprouvent des émotions. De même qu’il nous faut faire preuve de patience et d’intelligence pour réussir à apprivoiser un petit chat qui aurait peur de nous, de même il nous faut faire preuve de patience et d’intelligence pour réussir à apprivoiser nos émotions.
La mansuétude est un exercice habituel. Il demande de la volonté (faculté spirituelle) pour devenir une habitude et une mise en œuvre corporelle, c’est-à-dire des exercices pratiques. Cependant la volonté ne peut correctement s’exercer que si elle est guidée par l’intelligence. C’est en effet l’intelligence qui nous permet de connaître le réel tel qu’il est.
La sensibilité nous dit qu’il y a du réel mais de manière confuse, elle ne nous dit pas quel est précisément ce réel. Nous pouvons avoir peur sans être capable de bien identifier l’origine de cette peur. C’est l’intelligence qui va nous permettre de clarifier le réel, c’est-à-dire de le connaître.
Thomas d’Aquin est sans doute le philosophe le plus clair sur l’analyse des émotions humaines. Il désigne les émotions par des termes qu’on utilise plus rarement aujourd’hui ou dans un autre sens : passion, inclination naturelle ou appétit sensible. Le mot passion est encore utilisé, mais dans un sens très différent, le mot est donc polysémique. C’est dans son livre La Somme de Théologie, précisément en I-II q. 22 à q. 48 qu’il va distinguer deux grandes catégories d’émotions : le concupiscible et l’irascible.
Le concupiscible #
L’irascible #
Tempérance et Prudence #
Réussir à apprivoiser ses émotions demande aussi de développer la Vertu de Prudence. La Dilectio Prudentiae, c’est l’amour librement choisi pour la Vertu de Prudence. Sans cet amour pour la prudence, il sera difficile de bien connaître ses émotions et donc difficile de bien les apprivoiser. Nous aurons l’occasion dans notre cours sur le bonheur de revenir sur la vertu de prudence. Ce qu’il faut déjà retenir, c’est que la prudence, c’est l’intelligence pratique. Elle demande de développer une connaissance fine de la réalité, particulièrement de notre réalité intérieure. Elle demande de développer non pas seulement une intelligence théorique mais aussi une intelligence pratique, une Phronésis, comme le disait les grecs anciens. Apprivoiser ses émotions demande donc de développer une phronésis des différentes catégories d’émotions. C’est ce que nous allons voir maintenant.
7 catégories d’émotions #
En nous aidant du philosophe allemand Dietrich von Hildebrand (1889, 1977), du philosophe français René Girard, (1923, 2015), et du psychiatre français Henri Baruk (1897, 1999), nous distinguerons 7 catégories d’émotions.Les 6 premières méritent d’être appeler des passions. On entend par passion des émotions qui peuvent pirater notre liberté, qui peuvent diminuer notre liberté, parfois jusqu’à nous rendre esclaves. Seule la dernière catégorie (7) _respecte notre liberté _: non seulement elle la respecte mais elle lui permet de croître.
- (DvH) Des passions ardentes et persistantes que la tradition a pris l’habitude d’appeler des vices : l’ambition, la soif de pouvoir, la cupidité, l’avarice, la lubricité, etc. ;
- (DvH) Des passions explosives, ou passions ardentes comme certaines colères, certains ressentiments, qui sont pourtant motivées par de justes motifs mais qui manquent de mesure dans leurs réactivités exagérées ;
- (DvH) Des pulsions, telles celles que vivent les alcooliques, les drogués, ceux qui sont atteint de la maladie du jeux : « Ces pulsions ont le caractère d’une camisole de force ou les tentacules d’un poulpe »;
- (DvH) La passion amoureuse qui est un amour de l’exaltation amoureuse au lieu d’être le véritable amour d’une personne_: voir le livre L’Amour et l’Occident de Denis De Rougemont, (1906, 1985).
- (HB) Les émotions purement somatiques, liées à des phénomènes hormonaux, des dérèglements hormonaux, des maladies du corps dont les symptômes ne sont pas encore bien déclarés, parfois en lien avec des sortes d’empoisonnement.
- (RG) Les émotions mimétiques que nous attrapons des personnes que nous rencontrons soit directement, soit indirectement (personnages historiques, personnages de fiction), soit de nos médiateurs externes, soit de nos médiateurs internes, soit par la publicité ou la fabrique du consentement.
- (DvH) Les émotions du Cœur qui sont des expériences affectives motivées par des biens vécus comme véritables valeurs.