Vous trouverez le document PDF de cet article ici : La définition
Introduction #
Dans ce cours nous continuons à découvrir l’importance de la première opération de l’intelligence : la simple appréhension. Je m’appuis, en partie, sur le livre de Peter Kreeft, Socratic Logic, plus précisément, des pages 123 à 130. Vous pouvez d’ailleurs télécharger ce livre en cliquant ici.
Je synthétise ici le cours que j’ai réalisé en mai dernier auquel j’ajoute des précisions importantes pour réussir à trouver de bonnes définitions. Je prends donc un peu de distance par rapport à la traduction du livre de Peter Kreeft. Ce cours commence comme celui du mois de mai mais ne donne pas de détails sur la distinction entre définition nominale et définition essentielle pour éviter qu’il soit trop long. Ceux qui voudraient en savoir plus devront aller lire la fin du cours indiqué ci-dessus.
Problématique #
La première opération de l’intelligence, la simple appréhension, nous conduit à définir clairement les concepts qui nous permettent de comprendre la réalité. Cependant pour que cette compréhension soit la plus claire possible, il nous faut avoir une définition claire de nos concepts. Même si notre esprit humain à cette capacité de définir les concepts qu’il utilise, cela ne veut pas dire que c’est une chose facile qui ne demanderait aucun effort. Dans un premier temps, il nous faut d’abord clarifier ce qu’on entend par définition. Il en existe en effet plusieurs types qu’il faut bien différencier. Ensuite, une fois qu’on a compris que la meilleure définition est celle que l’on appelle la définition essentielle, nous verrons quels sont les outils intellectuels que nous pouvons utiliser pour nous aider à la découvrir.
Ces outils intellectuels sont utiles voire nécessaires mais ils ne suffisent pas pour réussir sans difficulté. Il faut souvent procéder par approximations successives pour réussir à trouver la bonne définition. Certains concepts qui nous servent à comprendre la réalité sont évidemment plus faciles à définir que d’autres. Cependant, il serait irréaliste de croire que tous les concepts sont faciles à définir. Ce cours a pour but de vous aider à progresser dans cette activité si importante pour la philosophie et pour toutes les sciences, activité qui consiste à définir les concepts que nous utilisons pour comprendre la réalité.
Nature de la définition #
La définition est essentielle en logique. C’est elle en effet qui nous dit ce qu’est une chose. C’est la réponse à la première question que l’intelligence se pose : « Qu’est-ce que c’est ? » Et si nous ne savons pas ce qu’est une chose par la première opération de l’intelligence alors nous ne pouvons pas juger correctement, c’est-à-dire utiliser la deuxième opération de l’intelligence. Nous ne savons pas non plus si une propriété appartient à cette chose ou non. De même, si nous ne savons pas ce qu’est une chose, nous n’avons pas de proposition vraie sur elle pour pouvoir commencer la troisième opération de notre intelligence, c’est-à-dire le raisonnement.
L’art de définir les termes est donc essentiel, puisque c’est le point de départ du fonctionnement de notre intelligence. Nous avons dit auparavant que la première condition que nous devions vérifier pour savoir si nos raisonnements sont vrais, c’était de savoir si les termes utilisés étaient clairs. Or la définition, c’est justement ce qui permet de clarifier le sens des termes que nous utilisons dans nos raisonnements.
La définition s’intéresse à la compréhension d’un terme. Elle permet de séparer à l’intérieur de son sens essentiel, ce qui relève de son genre (son aspect commun avec d’autres réalités proches de lui) de sa différence spécifique (ce qui le distingue des autres réalités proches de lui).
Une définition nous dit ce qu’une chose est. La meilleure définition que nous pouvons trouver pour un terme, c’est sa définition essentielle, elle nous donne l’essence de la chose visée en nous fournissant son genre et sa différence spécifique. C’est la définition maximale que nous pouvons trouver pour un terme. La définition minimale quant à elle, consiste à distinguer la chose définie de toutes les autres choses, de telle manière que nous ne confondions pas cette chose avec les autres choses.
La définition maximale, la définition essentielle, est claire et distincte. Tandis que la définition minimale n’est que distincte. Si nous n’arrivons pas à trouver, quand nous écrivons ou quand nous parlons, la clarté parfaite, parce que nous n’arrivons pas à trouver la définition essentielle de la chose considérée, nous devons au minimum savoir ce qu’elle n’est pas (c’est-à-dire la différencier des autres choses). Le mot définition en lui-même veut d’ailleurs dire délimitation, mettre des limites autour de la chose concernée pour la distinguer des autres choses. Si nous ne sommes pas capable de définir une chose, alors nous ne savons pas de quoi nous parlons. C’est pourquoi la qualité d’un écrit ou d’un discours se juge d’abord sur la qualité des définitions. C’est pourquoi je répèterai à de nombreuses reprises qu’une bonne dissertation ou une bonne étude ordonnée prennent soin de bien clarifier les concepts visés par la question posée ou par le texte donné. La limite de la logique formelle actuelle, qu’on appelle aussi logique mathématique, c’est qu’elle ne s’intéresse pas aux définitions essentielles des choses. Elle est implicitement nominaliste, elle exclut la notion d’essence.
6 règles pour une bonne définition #
Il existe 6 règles pour réussir à obtenir une définition acceptable :
- Une définition doit posséder le bon degré de précision, de focus, vis-à-vis de la chose visée. Elle ne doit pas être trop vaste et ainsi confondre la chose avec d’autres choses proches, mais pas trop resserrée pour pouvoir réussir à désigner la chose considérée et toutes celles qui lui ressemblent. Les logiciens parlent alors de coextensivité.
- Une définition doit être claire, c’est-à-dire non obscure, non ambiguë.
- Une définition doit être littérale et non pas métaphorique.
- Une définition doit être brève et non trop longue.
- Une définition doit être positive et non pas négative, si possible. En effet, seules les réalités négatives demandent à recevoir des définitions négatives. Par exemple, le mal se définit comme la privation d’un bien, le néant, c’est le fait qu’il n’y ait rien.
- Une définition ne doit pas être circulaire : le terme défini ne doit pas apparaître dans la définition. Autant, cela peut être un jeu de mot en informatique comme GNU is Not Unix, autant cela ne fait pas une définition. Définir un nom commun par son adjectif correspondant est donc une très mauvaise idée. Il est donc inutile de dire que la liberté c’est le fait d’être libre, car en écrivant cela nous ne disons rien.
Pour mémoriser plus facilement, il est possible de rassembler ces 3 règles de la manière suivante, une définition doit être :
- COEXTENSIVE (= AVOIR LE BON FOCUS),
- CLAIRE, LITTÉRALE et BRÈVE,
- NI NÉGATIVE, NI CIRCULAIRE.
Les types de définition #
Il existe plusieurs types de définition et le type le meilleur est le deuxième :
- La définition nominale, c’est la définition du mot tel qu’il est utilisé à différentes époques plutôt que la définition de la chose visée. C’est une erreur fréquente que certains philosophes font (ou certains professeurs de philosophie, ou certains élèves). Elle consiste à confondre le sens d’un mot avec le sens de la chose visée. C’est pourquoi pour trouver le sens de la chose visée, il vaut mieux chercher le sens du concept, ou le sens du terme, plutôt que le sens du mot. En latin la question correspondante est : quid nomini ?
- La définition essentielle, elle donne le genre et la différence spécifique. La définition essentielle correspond à la définition par la cause formelle. En latin la question correspondante est : quid rei ?
- La définition par les propriétés. On appelle propriétés, les caractéristiques essentielles d’une chose, à la différence des caractéristiques accidentelles. Un homme possède la propriété d’avoir la faculté que l’on désigne par le terme de volonté. Cela fait partie de sa nature. En revanche, il peut ne pas avoir de cheveux, et rester un homme. Les cheveux sont donc des caractéristiques accidentelles.
- La définition par les accidents, elle donne les caractéristiques actuelles de la personne mais qui ne sont pas essentielles. La coupe de cheveux, le vêtement porté, etc. La difficulté, c’est de donner suffisamment d’accidents pour que la chose ne soit pas confondue avec une autre. Lors de certaines enquêtes policières, elle peut cependant être nécessaire pour réussir à arrêter le coupable.
- La définition par la cause efficiente, on appelle aussi cette définition : définition génétique. Par exemple : une éclipse de soleil est un événement astronomique causé par le passage de la lune entre la lumière provenant du soleil et la terre, l’empêchant de nous parvenir. Autre exemple : un gland est le fruit du chêne.
- La définition par la cause finale, par exemple : une maison est une construction humaine permettant de se protéger des intempéries. Autre exemple : l’œil est un organe permettant de voir. Autre exemple : un crayon est un instrument permettant d’écrire.
- La définition par la cause matérielle, ou par sa composition. Par exemple : la molécule d’eau est composée de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène (H2O). Un poisson est un animal avec des écailles. Cette définition est confuse car on pourrait prendre le pangolin pour un poisson. Peut-être qu’il vaudrait mieux dire : le poisson est un animal possédant des branchies (mais là encore cela risque d’être imprécis).
- La définition par les effets. Par exemple, un cancérigène est une molécule qui peut provoquer un cancer.
Les types de cause #
Pour bien comprendre les différents types de définitions, il peut être utile de connaître les différents types de causes. Ceux qui voudraient mieux comprendre ce qui est indiqué ci-dessus peuvent donc avec profit consulter l’article suivant :
Arbre de Porphyre pour l’homme #
Le premier outil fort utile pour nous aider à trouver la définition essentielle que je veux vous présenter à été inventé par le philosophe phénicien logicien païen : Porphyre (234-305), né à Tyr (dans l’actuel Liban) et mort à Rome. En mémoire de son inventeur, la tradition philosophique l’appelle : L’arbre de Porphyre. Assez souvent on présente cet arbre en prenant l’exemple de la définition de l’homme telle que Porphyre la présente lui-même. Habituellement l’arbre a sa racine dans le ciel, dans le schéma suivant, j’ai remis la racine en bas.
Grâce à l’invention récente d’un mode de visualisation des données que l’on appelle Treemap, nous pouvons visualiser différemment l’arbre de Porphyre. Évidemment, c’est un détournement du rôle habituel des treemaps, mais il me semble que cela permet d’apporter un support visuel à notre imagination pour mieux nous représenter cet arbre. Vous êtes évidemment libres de choisir le mode de représentation qui vous convient le mieux.
Outils intellectuels pour mieux utiliser les arbres de Porphyre #
Dans les deux modes de présentation de l’Arbre de Porphyre pour l’homme que nous venons de voir, un certain nombre de notions sont utiles pour bien les comprendre. Ces notions sont rassemblées sous 3 ensembles que la tradition philosophique depuis Aristote nomment précisément :
- Les prédicables ;
- Les catégories ;
- Les post-prédicaments.
Voici 3 treemaps qui permettent d’avoir une vision synthétique de ces 3 ensembles, de ces 3 outils intellectuels qui permettent de mieux définir nos concepts. Le sujet est très vaste et il est difficile de le développer dans un cours de philosophie de terminale. La référence principale à ce sujet reste cependant les livres d’Aristote intitulés Les Topiques et Les Catégories.
Les prédicables #
Les prédicables rassemblent les différentes manières de parler d’une substance, c’est-à-dire d’une chose réelle.
Les catégories #
Les catégories permettent de trouver le genre le plus lointain que nous pouvons mettre dans notre Arbre de Porphyre quand nous essayons de définir le concept qui nous permet de comprendre une chose réelle. C’est la racine de notre arbre de Porphyre.
Les post-prédicaments #
Parfois pour clarifier nos concepts, il est important de moduler les catégories de l’être. C’est le rôle de ce que la tradition philosophique appelle post-prédicaments. Ce troisième outil est plus subtile dans son utilisation et si vous arrivez déjà à utiliser l’arbre de Porphyre aidé par les prédicables et les catégories, cela vous permettra d’obtenir une définition essentielle pour votre concept fort honorable. En revanche, dans vos recherches scientifiques ou philosophiques futures quand vos serez étudiants ou professionnels, il pourra être utile de revenir sur cette notion de post-prédicaments.
Définir : essentiel mais souvent difficile #
Ce n’est que par la pratique, par l’exercice, que nous augmentons notre capacité à définir les concepts que nous utilisons. Or comme le dit Peter Kreeft, il n’existe pas de méthode assurée pour trouver une définition. Il n’existe pas d’algorithme. C’est pourquoi une intelligence artificielle ne sera jamais réellement une intelligence. Le mieux qu’elle puisse faire c’est de nous redonner une définition qu’une intelligence humaine a déjà trouvée. Ce n’est pas rien d’ailleurs puisque cela peut s’avérer fort utile pour notre apprentissage. Cependant l’intelligence artificielle ne sera pas capable de découvrir une définition. Le processus intellectuel dépasse ce qui peut être codé sous forme d’algorithme.
La crainte que j’ai actuellement c’est que par paresse intellectuelle la jeune génération mais aussi les moins jeunes perdent peu à peu leur capacité de définir les concepts qu’ils utilisent. C’est en effet une grande tentation de poser la question à une IA de nous donner la définition d’un concept. La tentation était déjà grande auparavant de rechercher cette définition dans des livres ou sur le web. Il me semble cependant que l’IA augmente encore plus notre tendance naturelle à la paresse intellectuelle.
Le problème, c’est que même en apprenant à rédiger des prompts qui orientent la réponse de l’IA nous ne sommes jamais à l’abri d’une de ses hallucinations. L’IA peut donc nous induire en erreur sans que nous en prenions conscience par manque de culture. De plus, c’est par l’effort de définition personnel que nous comprenons réellement un sujet. Un perroquet qui répète un perroquet stochastique reste un perroquet, ce n’est plus un humain au sens fort du terme.
La question que je vous pose est donc la suivante : qu’allez-vous choisir de faire quand vous rencontrerez une difficulté pour définir un concept ? Allez vous vous efforcez de trouver la définition par vous-même quitte à devoir vous y reprendre à plusieurs fois avec quelques jours d’intervalle (quand c’est possible) ? Ou dès que cela sera possible, allez-vous poser la question à une IA et la prendre comme « parole d’Évangiles » ?
Libre à vous de faire le choix que vous voudrez. Cependant ce choix libre peut paradoxalement entraîner une perte de liberté future. En effet, il n’y a pas de liberté véritable sans force intellectuelle personnelle.